Manon Zinck… Or celles et ceux qui ont la chance de la croiser au quotidien, on la découvre en apprenant qu’elle est élue « Allemande de l’étranger de l’année 2023 ». Ce titre décerné par l’ONG Internationale Medienhilfe vient récompenser un engagement culturel fort. Alsacienne, de Gundershoffen, Manon Zinck nous en dit plus.

En effet, IMH récompense chaque année les femmes s’engageant pour la germanophonie à l’étranger, dont l’alsacien fait partie. Il y avait trois autres finalistes, une Américaine, une Ukrainienne et une Canadienne qui étaient respectivement autrice, directrice d’une chorale et animatrice radio en allemand. Le public a pu voter par mail et j’ai été élue avec 38% des voix. C’était un grand honneur et une reconnaissance de mon travail, également Outre-Rhin.
Made in Alsace : On découvre aussi que vous avez fait de l’alsacien et de sa transmission, et votre passion et votre entreprise …
Manon Zinck : Oui, au départ l’alsacien faisait partie de mon quotidien puisqu’on le parlais avec mes parents à la maison et c’était aussi un loisir car je faisais du théâtre alsacien et j’écrivais des sketchs et des pièces. J’essayais aussi de mettre un peu d’alsacien au sein de ma classe quand j’étais enseignante en classe bilingue. C’est vrai que j’ai beaucoup de chance de pouvoir aujourd’hui vivre de cette passion alsacienne.
Comment tout cela a démarré ?
Manon Zinck : En 2017, à l’école dans ma classe justement ! J’étais enseignante à Betschdorf, le village des potiers. Je cherchais une mascotte locale pour mes élèves. Alors j’ai poussé la porte de la poterie Schmitter-Fortuné et je suis repartie avec un petit moutardier, orné d’une cigogne. Avec les élèves, nous l’avons baptisé « Hafele » (petit pot mignon en alsacien). Il avait perdu son couvercle et nous avons travaillé par pédagogie de projet et articulé tous les apprentissages autour de ce personnage et de sa quête du couvercle perdu. Storichele (la petite cigogne) nous a rejoint et a transporté Hafele à travers l’Alsace et au-delà. A la fin de l’année, nous avons fait un rallye dans le village et visité la poterie où j’avais acheté Hafele. Le potier lui a alors gentiment donné un nouveau « Deckele », un nouveau couvercle.
Pouvez-vous nous parler de ce parcours, de vos rencontres, des personnes qui ont fait ce que vous êtes ?
Manon Zinck : Je remercie déjà mes parents qui m’ont transmis le dialecte et emmenée au théâtre alsacien.J’ai toujours aimé l’art, la culture, la lecture et découvrir de nouvelles choses. J’ai fait un bac S, puis une licence d’allemand et un master Education car je voulais être enseignante en classe bilingue. C’est un métier que j’ai trouvé passionnant et qui m’a beaucoup appris. C’est en enseignant le français aux Etats-Unis pendant un an que j’ai compris à quel point l’Alsace était une région spéciale. Il y a eu deux rencontres marquantes qui ont fait évoluer ma carrière. D’abord, le chanteur Serge Rieger qui était déjà présent dans ma classe de Betschdorf pour faire chanter les élèves en alsacien. Il nous a même écrit une chanson pour notre histoire. Nous collaborons toujours régulièrement sur des projets créatifs et musicaux toujours en alsacien.
Puis il y a eu la conteuse Christine Fischbach que Serge m’a présentée. Elle faisait des interventions en alsacien pour la Communauté de Communes de la Basse Zorn dans les écoles maternelles. Elle cherchait quelqu’un pour poursuivre ses ateliers car elle souhaitait se consacrer pleinement à son activité de conteuse. Alors je me suis dit « wàrùm nett » (pourquoi pas) ? J’ai travaillé à mi-temps comme maitresse et à mi-temps comme intervenante d’alsacien. Puis les choses ont pris de l’ampleur et je suis maintenant intervenante d’alsacien et autrice, illustratrice à temps plein.
Je dois aussi beaucoup à Rita Tatai chez qui j’achète mes robes alsaciennes modernisées et personnalisées. Quand je mets ma Geht’s In, je deviens la « super prof d’alsacien ». C’est un clin d’œil au costume traditionnel mais ancré dans la modernité.
Vous êtes jeune, engagée ! Que dites-vous à ceux de votre génération qui pensent que « l’alsacien » ne sert à rien…
Manon Zinck : Pour moi l’alsacien fait partie de notre identité et de notre culture. J’ai besoin de savoir d’où je viens pour savoir où je vais. Dire que l’alsacien ne sert à rien c’est renier notre histoire, notre identité et une partie de l’âme alsacienne.
A Made in Alsace, on pratique l’humour autour de l’Alsace, nous avons fait naître Brad Wurscht et Anchelina Scholly, mais aussi Storky, vous, vos complices sont «Hafele et Storichele»… Dites nous en plus ?

Manon Zinck : Quand j’ai créé mon entreprise d’ateliers d’alsacien, il m’a semblé naturel de reprendre Hafele et Storichele comme identité visuelle et nom de marque. Ils évoluent au fil de mes rencontres et selon les idées des enfants surtout. Une amie couturière m’a créé des marionnettes à leur effigie qui m’accompagnent au quotidien. J’ai aussi commandé des peluches pour les enfants qui seront commercialisées bientôt. Et il y a également l’album jeunesse bilingue qui raconte la rencontre de Hafele et Storichele et leur quête du « Deckele » qui va paraitre à la rentrée aux Editions MK67. Nous avons aussi un projet de vidéos pour apprendre les bases de l’alsacien avec TV3V.
Vous êtes aussi actrice et auteure dans un théâtre dialectal, c’est important pour vous ?
Manon Zinck : Oui le théâtre dialectal m’a beaucoup apporté, notamment pour la confiance en soi. J’ai eu une période quand j’étais petite où je ne voulais plus parler alsacien car la langue de l’école et des copains était le français. Puis j’ai commencé à faire du théâtre dialectal et ça m’a réconciliée avec l’alsacien. Et puis dans les pièces en alsacien on peut se faire plaisir avec des expressions imagées savoureuses (ou fleuries) qu’on utilise pas au quotidien.
Les théâtres alsaciens sont des lieux où le dialecte est encore très vivant et c’est un très bon moyen d’apprentissage. Je travaille d’ailleurs régulièrement avec des troupes de théâtre qui recherchent des sketchs ou des stages pour leurs groupes de jeunes.
Comment voyez-vous l’avenir du dialecte, de la culture alsacienne à la fois en ville et en milieu moins urbain… Comment peut-on vous suivre ?
Manon Zinck : Depuis quelques temps, je ressens beaucoup d’ondes positives par rapport au dialecte et la culture régionale en général. Les entreprises revendiquent leur ancrage local, il y a une volonté politique d’encourager l’apprentissage du dialecte par la CEA, les communes, un nouvel Office Public pour la Langue doit voir le jour prochainement. Dans mes cours pour adultes je constate un intérêt également de la part de personnes venant d’autres régions. J’ai l’impression qu’il y a plus de dialectophones dans les petits villages qu’en ville, mais l’envie est là. J’ai par exemple donné un cours pour les agents de l’Eurométropole cette année. On voit des initiatives fleurir, comme les Heimetfescht par exemple. J’espère que cette envie d’Alsace et de dialecte vont perdurer.

En tout cas on y travaille tous les jours avec Hafele & Storichele ! Vous pouvez suivre nos aventures sur Facebook (www.facebook.com/HafeleStoricheleMZD) ou sur notre site internet www.hafelestorichele-mzd.fr