Made In Alsace

23 septembre 2020

Sherlock Holmes, Jules Meyer, l’Alsace : Rencontre avec Jacques Fortier

Sur les traces de Sherlock Holmes en Alsace, nous croisons Jacques Fortier. Fine plume des DNA jusqu’à peu, l’écrivain nous ouvre les portes d’un univers naturellement policier où l’on redécouvre l’Histoire et notre région au travers d’un détective “Made in Alsace”, le jeune Jules Meyer. Addiction et belles lectures garanties.

Jacques Fortier

Jacques Fortier, les Alsaciens (et d’autres) découvrent depuis quelques années maintenant les aventures de votre détective, Jules Meyer. Pouvez-vous revenir sur votre parcours, et sur celui de ce détective qui  partage avec nous ses aventures. ?

Jacques Fortier : Je suis né en Alsace, il y a 64 ans. J’ai été journaliste, quarante ans de ma vie, successivement à France 3 Alsace, au Nouvel Alsacien, à France Bleu Alsace, et près de trente ans aux Dernières Nouvelles d’Alsace. J’ai assuré pendant trente-cinq ans la correspondance du Monde. Je suis retraité depuis deux ans. Écrire des romans policiers, ce que je fais depuis onze ans maintenant, a été pour moi une autre façon de parcourir l’Alsace, son histoire, ses spécificités.

Sherlock Holmes et le mystère du Haut-Koenigsbourg

Jules Meyer, à l’état-civil, est né en 1898 en Centre-Alsace et travaille comme détective à mi-temps (correcteur d’imprimerie par ailleurs) à Strasbourg dans l’entre-deux-guerres. Mais ce personnage de papier est aussi né en 2009, quand j’ai écrit Sherlock Holmes et le mystère du Haut-Koenigsbourg, mon premier roman policier alsacien.

C’était un pastiche holmésien dans lequel j’invitais le grand détective une semaine en Alsace en 1909. Petit garçon, fils des hôteliers du Schaentzel, non loin du château, où descendent Holmes et Watson, Jules  leur donne un modeste coup de main dans leur enquête. En remerciement, il reçoit à la fin du livre la casquette légendaire du grand détective, que celui-ci a achetée à Sélestat et, comme on le sait, n’a jamais portée.

C’est un symbole du passage de relais : Jules rêve maintenant de devenir détective. L’accueil des lecteurs à mon premier roman (27 000 exemplaires aujourd’hui) et l’appui de mon éditeur, Pierre Marchant (Le Verger), le lui ont permis : je lui ai depuis écrit six aventures, comme Quinze jours en rouge, qui se déroule à la fin de la Grande Guerre quand le drapeau rouge flotte sur la cathédrale de Strasbourg, jusqu’aux Neuf sentinelles des Vosges, qui paraîtra le 8 octobre prochain.

On part naturellement au départ de l’univers de Sherlock Holmes avant d’arriver en Alsace. Quelle importance à eu Conan Doyle sur le jeune lecteur que vous étiez et que vous êtes resté ?  

Jacques Fortier : Je suis tombé dedans quand j’étais petit : mes parents avaient l’intégrale de Sherlock Holmes dans une belle collection des années cinquante. J’ai été passionné. Je l’ai relu adolescent, puis adulte et je ne m’en lasse pas. Les soixante récits de Sir Arthur Conan Doyle consacrés à Sherlock Holmes sont, à mes yeux, un monument de la littérature policière qui ne vieillit pas. Mais je prends aussi plaisir aux autres récits de Conan Doyle autour du professeur Challenger (Le monde perdu est le plus connu) ou du brigadier Gérard (un hussard du Premier Empire), par exemple. On ignore souvent que Holmes ne concerne que le tiers de l’œuvre de Conan Doyle qui préférait d’ailleurs ses romans historiques à ses histoires policières.

Depuis, j’ai découvert le monde savoureux des adeptes qui font « comme si » Sherlock Holmes avait existé : des clubs un peu partout dans le monde, des chercheurs qui font l’exégèse des soixante textes considérés comme un  « canon » officiel et publient des études mi-sérieuses, mi-facétieuses, des auteurs qui écrivent des pastiches. J’avoue une certaine fierté d’avoir écrit le premier roman pastiche holmésien alsacien. Conan Doyle avait fait venir Holmes quelques heures à Strasbourg, entre deux trains, fin avril 1891, avant le combat à mort en Suisse contre l’abominable professeur Moriarty. L’Alsace méritait davantage : je lui ai donc donné une semaine d’enquête au printemps 1909 autour du Haut-Koenisgbourg dans le Reichsland de l’époque.

A chaque aventure, on en apprend un peu plus sur l’Alsace. On lit entre les lignes ce que l’on ne lit pas ailleurs, non ?

Jacques Fortier : Comme dans mon Sherlock Holmes, les enquêtes de Jules Meyer mêlent la vraie histoire de l’Alsace, parfois méconnue, avec des récits criminels sortis de mon imagination. Par exemple, dans Dessine-moi un loup, Jules rencontre Antoine de Saint-Exupéry. Le futur auteur du Petit Prince a en effet commencé  son service militaire en 1921 à Strasbourg et y a appris à piloter. Il a fait son premier vol seul le 9 juillet au Polygone. Dans le roman, un second vol, le 14, emmène Saint-Ex et Jules Meyer  (vert de trouille) au-dessus de la vallée de Munster, ce qui fera progresser l’enquête sur les morts violentes d’hommes qui semblent avoir été attaqués par des loups…

L’ilôt ancien de la place du Corbeau, à Strasbourg, bombardé en 1944. Jules Meyer et sa famille logent dans la maison au coin du pont, au 2e étage, l’agence de détective étant au rez-de-chaussée, au-dessus de l’eau.

Dans Chapitre fatal à la cathédrale, Jules, en 1922, tente de découvrir, dans la cathédrale close, l’auteur du meurtre d’un chanoine, mais découvrira qu’il y a un lien avec le passage de relais, cinq siècles plus tôt, entre deux des grands architectes de l’édifice.

Il est minuit, monsieur Meyer

Je l’ai aussi envoyé en mission à Lambaréné, au Gabon, alors composante de l’Afrique équatoriale française. Dans Il est minuit, monsieur Meyer, il est en effet appelé en 1924 par le Dr Albert Schweitzer pour résoudre, à quatre semaines de bateau de la métropole, l’énigme d’une mort violente et inexplicable. Dans la vraie histoire, c’est le début de deuxième séjour de Schweitzer à Lambaréné, quand, à 48 ans, il reconstruit son œuvre torpillée par la guerre. J’ai tenté de donner une image juste du futur prix Nobel de la Paix et Jules en rapportera de beaux souvenirs…

On s’éloigne un instant et on tente volontiers avec vous un questionnaire de Proust « Made in Alsace » … Libre à vous d’expliciter les réponses ?

Jacques Fortier :

Si vous étiez une boisson alsacienne :

  • Un amer-bière ! Je suis né à Haguenau, là où les enfants savent que les champs de houblon ne sont pas des cultures de poteaux télégraphiques.

Si vous étiez un monument alsacien :

  • Une borne-frontière quelque part dans les Vosges. Avec leur « D » sur une face, leur « F » sur l’autre, elles sont le symbole de l’histoire compliquée de la région. Et, fort heureusement, elles ne marquent plus de séparation entre les hommes.

Si vous étiez une ville alsacienne :

  • Strasbourg, où vit et travaille mon détective. Et dans Strasbourg, cet îlot de maisons anciennes qui existait place du Corbeau, où je l’ai logé, et qui va disparaître en août 1944 sous un bombardement américain.

Si vous étiez une recette d’Alsace :

  • La salade mixte. Avec son gruyère râpé et ses cervelas (sans oublier les cornichons aigres-doux), c’est une « salade » de gens qui prennent la table au sérieux. J’en faisais dans les années soixante-dix le lundi soir à mes camarades de promotion du Centre de formation des journalistes de Paris quand j’avais passé le week-end en Alsace et rapporté les ingrédients…

Pouvez vous nous parlez des dernières aventures de Jules Meyer, pour celles et ceux qui découvrent la série ?  

 Dans Opération Shere Khan, le dernier publié, Jules, en 1926, déjoue une machination contre les autonomistes alsaciens qui négocient alors leur alliance (qu’on appellera le Heimatbund). Cela permet de rappeler cette coalition surprenante, typiquement alsacienne, entre catholiques conservateurs et modérés, radicaux protestants ou libres-penseurs et communistes en principe athées,  au nom de leur volonté commune d’une grande autonomie de l’Alsace. Leurs revendications d’alors résonnent parfois de façon curieuse avec l’actualité un siècle plus tard…

Les neuf sentinelles des Vosges

Dans le prochain livre, Les neuf sentinelles des Vosges, programmé pour le 8 octobre, Jules est appelé parce qu’on a retrouvé le corps d’une toute jeune femme au pied de la tour du Climont. Suicide, accident ou meurtre ? Il patauge un peu, mais quand on trouve une autre jeune morte, deux mois plus tard, au pied de la tour du Champ du Feu, il comprend qu’il est embarqué dans une affaire des plus sombres qui le troublera beaucoup plus qu’il ne le pense.

Un message à transmettre à vos lecteurs, l’annonce d’une « suite » ?

Jacques Fortier : J’ai envie de relever un défi historique, ce que d’autres, il est vrai, ont déjà fait avec talent : chercher (avec Jules Meyer bien sûr) ce qu’a fait Gutenberg entre 1444 et 1448, entre sa dernière apparition à Strasbourg et sa réapparition quatre ans plus tard à Mayence – où il va ensuite imprimer sa célèbre bible. Ce « blanc »,  ce « grand hiatus » dans la vie de l’inventeur de l’imprimerie me rappelle celui que Conan Doyle a donné à Sherlock Holmes entre sa mort supposée en Suisse en 1891 et sa « renaissance » à Londres trois ans plus tard. Le grand hiatus de Sherlock Holmes, qui tient en deux lignes chez Conan Doyle a, depuis, été rempli d’aventures par de nombreux pasticheurs. J’ai envie quant à moi de combler le grand hiatus de Gutenberg et de permettre à Jules Meyer de résoudre au XXe siècle cette énigme du XVe.

Merci Jacques Fortier… Notez naturellement les références et rendez-vous chez vos libraires de proximité !

LE VERGER EDITEUR

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